...Les plus forts, accumulant les victoires sur les adversaires, passaient de l'un à l'autre jusqu'à « épuiser le stock » d'adversaires pertinent pour eux dans le cercle. Alors ils le quittaient pour trouver plus fort ailleurs, plus ou moins obnubilés par un classement officiel mondial des joueurs appelé « classement ELO ».
Les plus faibles, quant à eux, épuisaient progressivement leur motivations,leur plaisir et leur interêt pour le jeu à force de perdre les parties en seulement quelques coups. La plupart d'entre eux n'avaient jamais joué une partie jusqu'à la dernière étape, lorsqu'il n'y a plus que quelques pièces sur l'échiquier à l'issue d'une longue lutte acharnée.
Ce cadre, qui paraissait tout naturel pour tous, me paru somme toute très insatisfaisant et pauvre vis-à-vis des raisons qui poussent chacun à fréquenter un groupe d'activités de loisirs et de détente, quel qu'il soit.
Pratiquant alors déjà l'astrologie humaniste, je me mis pour agrémenter ces séances finalement assez ennuyeuses de mon point de vue, bien qu'étant de niveau intermédiaire, à observer les personnalités des joueurs et à tenter d'établir de potentiels rapports entre leur manière de jouer et celles-ci. Je me pris à identifier telle pièce à telle influence planétaire, par exemple Mars ou Saturne à la Tour, et à noter aussi les comportements sur l'échiquier en miroir de ceux de la personne, sur tous les plans.
Il s'est trouvé que, pour moi alors, ce jeu pris une toute autre dimension. Je repérai parallèlement que l'étude de livres sur le sujet de certains joueurs masquait au fur et à mesure de leurs progrès l'influence de leur personnalité sur leur manière de jouer.
Qu'en fut-il vis-à-vis des autres joueurs ? Là aussi l'observation est des plus instructives :
Les plus faibles furent contents de se trouver en situation de ne pas se faire massacrer, par le fait de les laisser s'exprimer sur l'échiquier, et d'avoir enfin la possibilité de voir ce qu'était une fin de partie. Leur plaisir augmentait à nouveau. Le but n'est plus de gagner ou perdre mais d'échanger, de communiquer. L'outil reprend sa place d'outil est n'est plus une finalité.
Les plus forts, eux, eurent une réaction tout à fait passionnante : je faisais cela de toute évidence pour masquer ma nullité et mon incapacité de progresser ; ce qui, en toute humilité, était quand même d'une mauvaise foi évidente doublée d'une cessité non moins évidente puisque chaque joueur, quel que soit son niveau, est tantôt gagnant tantôt perdant, et que, qui plus est je sais autant lire que tout-un-chacun pour être capable de lire un manuel. Idem pour les plus faibles qui retrouvent le schéma "tantôt gagnant-tantôt perdant" entre eux.
Je fus ainsi, ce que je peux affirmer sans tomber dans une attitude auto-flagellatrice, et somme toute pour le moins, ostracisé et moqué par une partie des joueurs, en l'occurence la partie la plus aguerrie.
Cette partie du groupe réagit ainsi car cette situation met en valeur un élément essentiel de la logique mise en avant par Rudhyar : l'opposition entre « logique intellectuelle » et « logique holistique ».
Quelques années plus tard, assez longtemps après avoir moi-même quitté ce cercle, je repérai dans l'oeuvre de Rudhyar une référence, précisément en lien avec cette expérience et le jeu d'échecs, que voici.
Nous utilisons dans ce type d'astrologie le système d'interprétation des degrés appelé « Système Sabian ».
Il n'est pas question ici de s'étendre sur la nature, l'origine et la validité de ce système, le format n'étant pas approprié. Cela dit le lecteur intéressé pourra s'orienter vers le livre de Rudhyar intitulé « Symboles Sabians, Le sens des 360 degrés du zodiaque, Le Yi-King astrologique » pour de plus amples détails.
Dans ce système, chaque degré du zodiaque des signes se voit attribuer une image symbolique sensée représenter le contenu subjectif, en terme de sens, de ce degré par rapport à sa place dans la structure subséquente de ce système.
Il convient ensuite d'interpréter ce sens et d'en détecter si des éléments correspondants dans la vie du sujet peuvent émerger ou s'y exprimer, quelle qu'en soit la forme ou le champ d'expression.
Rudhyar s'est livré au travail initial d'interprétation.
Nous pouvons lire que le troisième degré du Sagittaire est symbolisé par l'image suivante : « Une partie d'échecs ». Puis, il structure son interprétation comme suit
-une dominante du symbole
-un commentaire
-une synthèse
Voici pour ce symbole :
Dominante : Dépasser nos conflits par des rites de transcendance
Commentaire : Pour la vie socioculturelle, la transmutation de notre agressivité naturelle dans le contexte général de notre existence joue un rôle essentiel. Sports et jeux, comme d'autres rites, n'ont pas d'objectifs différents. Les six pièces principales des échecs ( Roi, Reine, Fou, Cavalier, Tour et pion ) représentent les énergies complexes constituant la personne humaine. La lutte entre la lumière et les ténèbres ( les forces Yang et Yin ) consiste en un rituel aboutissant, dans la plupart des cas, à la mise en échec du Roi ( l'égo, le moi conscient ). Dans un monde dualiste, cette joute entre des forces polarisées est omniprésente. Le jeu d'échecs nous entraîne à une plus grande objectivité et exerce notre esprit de synthèse ; ainsi nous devenons moins vélléitaires et superficiels.
Synthèse : Ce degré est un degré de conflit. Il communique à la conscience objective les réalités essentielles contenues dans les ECHANGES interpersonnels.
Nous sommes ainsi conduits par cet exemple et le fil de ce raisonnement, à être tenté d'admettre la possibilité d'utiliser une chose comme le jeu d'échecs comme autre chose qu'un autre terrain d'épanchement de pulsions primitives batailleuses et bellicistes liées à une logique intellectuelle compulsive, excluant de manière stricte l'usage de son cerveau droit et de son intuition.
Et cette autre chose, cette autre utilisation d'un "simple" jeu comme celui des échecs, peut nous conduire et nous aider non seulement à renouer des liens d'une nature approfondie et harmonieuse avec l'autre, mais aussi, en le comprenant plus en profondeur, être conduits à nous comprendre nous-mêmes également plus en profondeur et, peut-être, pouvons nous ainsi l’espérer, à retrouver le chemin d'une harmonie relationnelle épanouissante et d'une paix intérieure communicative.