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Réminiscences et rêves, où est la limite docteur Jung ?

Le 15/12/2024

J'avais l'habitude de voir des scènes de tempêtes étranges. Les rêves ont toujours des éléments ou des enchaînements apparemment irrationnels, au milieu d'autres dont le symbolisme est plus évident, même intuitivement. Là, je ne faisais pas bien la part des choses ...

... car les émotions et les sentiments qui accompagnaient ces images étaient forts, trop influents pour une simple irrationalité.
C'était à chaque fois le même thème. Je suis au bord de la mer, mais la plage n'a pas vraiment d'importance ; elle ne serait même presque qu'un élément posé là logiquement parce que je suis uniquement focalisé sur la mer, sur l'eau. Et cette mer est dans l'état de pire tempête que je n'ai jamais pu voir. Des vagues hautes de plusieurs dizaines de mètres déferlent. Mais deux détails rendent ce rêve étrange et original : le premier est qu'il fait beau. Un grand ciel baigne toute la scène. Pas de vent non plus. La mer est démontée, mais comme si elle était l'image d'une autre scène transposée, une scène de tempête océanique de l'océan Pacifique de ces fameux quarantièmes rugissantes. Le deuxième détail est plus difficile à décrire : au bord de la plage, les vagues déferlent avec violence et dans un vacarme assourdissant, mais sur place. Une sorte de barrière invisible empêche les vagues d'avancer, alors elles s'effondrent sur elles-mêmes, sur place, là, juste devant moi qui me tient sur la plage, à quelques mètres devant. Je suis fasciné par le spectacle de cette force naturelle que je peux contempler, au final, sans risques.

Voilà les scènes de tempêtes auxquelles j'étais habitué. Mais là, il est question d'autre chose.
Je me réveille légèrement en état de choc. La lumière du jour qui perce à travers les quelques rangées de trous du volet mécanique, bien que faible en cette période de grisaille, m’apparaît salutaire et rafraîchissante. Pourquoi ?

Je suis sur une terrasse, une terrasse d'un haut immeuble semble-t-il, avec ma compagne. Nous observons depuis quelques jours cette vague, à l'horizon, qui s'approche. Les jours précédents, il semble que d'autres choses se soient produites, mais je n'en ai pas une conception claire. Toujours est-il que nous, ici, nous nous sentons en sécurité là où nous sommes. Nous avons l'air d'être innocents, peut-être même naïfs, et peut-être aussi arrogants d'une culture ou d'une civilisation que je ne connais pas. Un détail m'interpelle, sur cette terrasse, mais je ne peux à ce stade dire pourquoi, ni le décrire.
Cette vague approche, lentement, mais elle approche. Elle occupait en longueur tout l'horizon quand on la voyait de loin, haute de quelques millimètres. Maintenant, elle est peut-être encore à quelques kilomètres, mais je ne peux en être sûr, les distances ne valent plus rien. C'est l'impression ambivalente d'une chose qui semble plus proche parce qu'elle est d'une immensité qui annule la capacité d'en estimer la grandeur ou la distance. Ce qui est certain, c'est qu'elle mesure plusieurs centaines de mètres de hauteur.
En face de nous, il n'y a plus que de l'eau. Un mur d'eau. En bas, nous ne voyons pas le sol au pied de là où nous sommes, mais il n'y a que de l'eau. En haut, plus de ciel visible, que de l'eau également. Sur les cotés, nous n'osons plus nous pencher pour regarder, à droite ou à gauche, cette chose est infinie et provoque une sensation de vertige par sa seule immensité et le mouvement ascendant de l'eau qui la compose. Nous sommes paralysés, nous sommes hypnotisés. Cette eau est dans une fureur tellement inimaginable qu'elle a la force d'empêcher nos sens de fonctionner par sa seule menace. La terreur ici n'est pas un vain mot, mais nous sommes alors encore tellement au-delà. Le détail étrange de cette terrasse apparaît alors plus clairement ici dans ma conscience. Il semble que, de notre balcon jusqu'à celui de l'étage supérieur, à la place de ce que l'on pourrait installer de nos jours, comme une baie vitrée, il y avait une sorte de champ magnétique qui isolait des sons, de la température, mais sans nous enfermer comme dans le cas d'une structure matérielle. Si nous imaginons une telle scène, il apparaîtrait cohérent que la plupart des gens penseraient à une scène de panique générale devant une telle folie. Mais, ce n'est pas ce qu'il se passe, car nous sommes tous totalement figés de sidération devant une scène si irréaliste, d'une puissance si colossale que seuls des évènements cosmiques pourraient atteindre ce degré d'énergie produite, de telles dimensions.
Ce mur d'eau est si violent qu'il est précédé immédiatement de tornades qui le parcourent de long en large. Tornades dont chacune d'elles, de nos jours, serait une catastrophe nationale, dont le passage sèmerait mort et destruction. Là, elles semblent si petites, comme des roquets insolents, audacieux car conscients d'une protection dont ils bénéficieraient qui leur permettrait de provoquer et agresser en toute impunité.
Cette immensité la fait paraître si proche que l'on pourrait croire qu'il serait possible d'apercevoir des débris à sa surface, des restes du monde qu'il est en train d'avaler mais, en fait, il est malgré tout encore trop loin pour apercevoir ces détails. Loin et proche, rugissant d'une fureur qu'aucun humain n'a jamais pu ressentir à quel point il n'est rien dans ce vaste univers.
Sans savoir d'où j'en tire la force, je parviens à m'arracher de cette obsession hypnotique. Je prend ma compagne par le bras, lui dit qu'il faut fuir ( même si c'est totalement inutile en cette situation, un réflexe de survie complètement automatique ) mais elle ne m'entend plus. Elle, ne réussit pas à s'extraire de cette obsession ; je dois la tirer, l'emmener comme un sac inerte car ses sens ne fonctionnent plus.

Ce qu'il arrive après, au passage de ce monstre, je ne le vois pas mais, encore après, je suis intrigué d'être toujours en vie. D'autres ont survécu, plus peut-être que je n'aurais pu le penser, et sont là aussi. Nous sommes donc là, au milieu de nulle part, nous divaguons comme des zombies, paralysés d'effroi. Plus aucun sentiment ne nous habite. Le bruit est encore là, et en même temps nous sommes encore sourds mais il gronde à l'intérieur de nous. Certains alors tentent, pour mieux survivre, de refaire du troc en accumulant des débris, des animaux morts … Nous, ceux-là, nous les tuons immédiatement. Sans penser, sans haïr, nous ne sommes, même de cela, plus capables. Mais quelque chose au fond de nous nous dit qu'il faut éteindre cela tout de suite, c'est tout. Nous les tuons sans la moindre émotion, car pour nous ce geste n'est plus rien à coté de ce que nous venons de traverser, il n'a plus le même portée émotionnelle.
Après cette période de sidération généralisée, si la Terre redevient verte, nous nous battrons encore entre nous, nous nous battrons pour les restes. Puis, nous en prendrons l'habitude, et nous continuerons de nous battre entre nous. La violence de l'Homme sera une sorte de phénomène compensatoire de cette terreur extrême qu'a engendré ce choc cosmique, une sorte de tentative de rééquilibrer le choc de la pression extérieure par une pression interne, traduite sous forme de violence. Et ce même si l'onde de choc, en elle-même, est loin depuis longtemps. Nous ne sommes pas fait pour encaisser de tels chocs. Mais il est toujours possible de guérir.
Pour l'instant, sidérés, blessés et brisés, zombies, nous connaîtrons des moments où nous pourrons vivre sans nous battre. Cela pourrait ressembler à une vie de paix, mais, si ce n'était nos âmes en poussières, ce n'est pas vraiment de cela qu'il s'agit.

C'est là que je me réveille ce matin, un peu secoué d'une telle expérience.
Je me rappelle quand j'étais enfant. Mes parents, mon frère et moi allions, lors des vacances estivales sur cette île, sur cette plage réputée pour ses hautes vagues. Cette plage était à la pointe nord de l'île, de multiples courants remuaient les eaux de l'océan et créaient cette plage agitée.
Certains aimaient ces vagues au point de s'y frotter, comme pour les braver, ou les dominer, ou encore les chevaucher comme par exemple les amateurs de surf.
Moi, à sept-huit ans, j'avançais le plus loin possible dans l'eau, en ayant encore pied, là où elle m'arrivait à la poitrine, juste sous le menton. La vague qui déferlait en écume, je la voyais arriver, elle mesurait entre un mètre cinquante et deux mètres … Je la voyais comme, disons, « d'en bas », en quelque sorte. Alors, je tendais les bras en croix pour m'offrir à elle, et je la regardais le plus longtemps possible afin de ressentir cette émotion particulière, cette sensation mêlée de peur et de fascination. Puis, j'étais emporté violemment, je tournais dans tous les sens dans l'eau brutale et, à un moment donné, mon visage s'écrasait sur le sable de la plage. Je soulevais la tête et le haut de mon corps avec mes bras, reprenait mon souffle, un peu hagard. Il n'y avait plus, là, que trente centimètres d'eau. Je me reposais un peu et repartais à la charge, fasciné par la force brutale de la nature, et ma faiblesse de petit être.

"La mer, chez moi, c'était facile.
Je l'appelais, elle arrivait.
Le flot bouillonnant au rez-de-chaussée.

L'eau, cette glace reposée,
cet immeuble, cette mouvance
cette procédure mouillée me fait comme un raz
Sa cadence me dit de rester dans le clan
à machonner les reverdures, sous les neiges de ce printemps
à faire au froid bonne mesure
(...) la mémoire et la mer ... ton corps..."

Passage de Et basta, Léo Ferré